Les écoles au centre-ville de Thetford à la fin des années 40, par Pierre Roberge

Les écoles au centre-ville de Thetford à la fin des années 40, par Pierre Roberge

Lorsque ma soeur Louise doit commencer ses études, maman va au Couvent Saint-Alphonse avec elle pour l'enregistrer et m'emmène également. Lorsque son enregistrement est fait, la Religieuse demande si son autre petite fille (!) doit être enregistrée elle aussi. Maman lui dit que je suis un garçon et que j'irai à l'école l'année suivante. La Religieuse lui mentionne alors que quelques garçons sont acceptés parmi les filles et qu'elle aimerait bien que j'y sois inscrit. La méprise de la Religieuse vient sûrement du fait que j'ai les cheveux très longs et de beaux gros boudins frisés.

L'année suivante, maman me fait couper les cheveux avant le début de l'année scolaire et je me retrouve au couvent avec quelques autres garçons et beaucoup de filles. Ma première «maitresse», une Religieuse, se nomme Soeur St-Léon-Joseph. Je suis bébé pour mon âge car j'ai été gâté à la maison par ma grand-mère. Je suis très souvent dans la lune et rêveur. Ce qui m'intéresse c'est l'arithmétique, les autres matières ne sont pas importantes pour moi. D'autre part, depuis mon tout jeune âge je suis affligé d'un bégaiement très prononcé qui ne me dérange pas à la maison en famille. C'est une toute autre chose en classe avec les autres élèves qui n'ont pas ce problème de prononciation. En me rendant compte de la situation, j'ai toujours peur d'être la risée de la classe et j'espère que le Professeur ne me pose pas de questions ; lorsque cela arrive, même si je connais la réponse, je fais signe que je ne la connais pas !

À chaque année, le 25 novembre, on fête la Sainte-Catherine à l'école. Tous les élèves du couvent ainsi que les Religieuses sont regroupés dans la grande salle de l'École Normale. Un spectacle est présenté : des chants, des morceaux de piano, des petits sketches, etc. En première année, on nous a fait apprendre par coeur un texte, et c'est moi qu'on choisit pour en faire la récitation devant toute la salle. Je m'exécute...en bé, bégayant et c'est toute l'assistance qui rit de bon coeur. La Soeur Supérieure, assise à la première rangée, se lève et me demande de refaire de nouveau ma présentation. Beau joueur...innocent...je recommence la présentation ardue de mon texte, et...tout le monde rit...de moi. Belle leçon de charité chrétienne pour la bonne Soeur de la Charité !

Je pense que je suis le chouchou de Soeur St-Léon-Joseph. Au cours du mois de décembre de ma première année, elle nous présente un Père Noël en plâtre qui est une banque et elle nous dit qu'elle va le faire tirer au sort le 23 décembre. Moi qui crois et aime le Père Noël, je prie pour que je sois le gagnant. J'en parle souvent à Maman et j'en rêve la nuit. Lors du tirage, c'est moi le chanceux et je suis tout fier de ramener ce trophée à la maison et de le montrer à toute la parenté. Je l'ai conservé jusqu'à aujourd'hui, et à chaque mois de décembre, mon épouse Monique le sort de sa boîte et le pose fièrement sur une petite table dans mon bureau, pour mon plus grand plaisir.

Ma première année terminée, je suis admis en deuxième année dans une classe à deux niveaux. Ma soeur Louise et moi nous sommes dans la même classe. Soeur Marie-Camille donne les cours aux deux divisions et comme Louise est plus allumée que moi, elle joue son rôle de grande soeur à la perfection. Lorsque c'est le temps de prendre en note mes leçons et mes devoirs, je la regarde et elle est déjà à les prendre en note. Elle aime cela plus que moi.

En troisième année, c'est encore Soeur Marie-Camille qui m'enseigne et là je dois être autonome et m'occuper de mes devoirs et leçons. Je pense retenir de Maman, être porté à m'occuper des choses qui m'intéressent alors que je dois faire mes devoirs et apprendre mes leçons. Mais je réussis car j'ai une bonne mémoire. C'est ma dernière année au Couvent Saint-Alphonse car on n'accepte pas de garçons après la troisième année.

En septembre, je commence à fréquenter le Collège-de-la-Salle dirigé par les Frères des Écoles Chrétiennes. Je suis en quatrième année. C'est une toute autre atmosphère, beaucoup plus de discipline sévère ; le Directeur, le Frère Robert, se promène avec une large «strap» en gros cuir dans la poche de sa soutane. Pour la première fois de ma vie, j'ai une enseignante laïque : Madame Rita D. Le matin, tous les élèves se rassemblent dans la grande salle au sous-sol en rang, par classe. Le Directeur de sa voix de stentor, donne les nouvelles et les directives, corrige par la fessée à la »strap» les élèves indisciplinés et ordonne qu'on monte en classe. Cela fait une très grande différence avec les Religieuses qui semblaient se déplacer sur un coussin d'air et ne pas avoir de jambes sous leurs multiples jupes !

Je fais des fautes dans mes dictées et nous sommes plusieurs dans ce même cas. Après quelques mois, Madame Rita décide de punir les élèves qui font trop de fautes. Elle aurait pu choisir de nous faire copier plusieurs fois les mots mal écrits, mais elle préfère une façon plus frappante et moins pédagogique de nous corriger. Elle fait approcher en avant de la classe, un par un, les élèves qui ont fait le plus de fautes. Elle prend une règle en bois de douze pouces, ordonne à l'élève d'avancer une main et frappe sur les doigts avec le côté de la règle qui a une tige de fer, le même nombre de coups qu'il a eu de fautes dans sa dictée. Comme j'ai eu plus de sept fautes, je fais partie du groupe qui goûte à cette médecine...

J'arrive à la maison pour le dîner et je garde ma main gauche cachée sous la table pendant le repas. Maman, qui ne trouve pas cela normal, me demande de lui montrer ma main. Timidement, je la sors et elle voit une blessure sur les quatre doigts. Je dois lui donner une explication : j'ai eu sept fautes dans une dictée ! Et je lui explique la méthode radicale employée pour nous montrer à écrire sans fautes. Sans m'en aviser, dans l'après-midi, elle se rend au Collège, elle rencontre le Directeur et lui explique ce qui se passe dans la classe de cette enseignante. Elle lui dit : «Pierre vient à l'école pour apprendre à écrire ; s'il le savait déjà, il ne serait pas obligé d'être là». Le Directeur fait venir Madame Rita à son bureau, durant la classe, et par la suite, personne n'a plus jamais reçu de coups de règle. Le soir maman me questionne pour savoir si ma maîtresse s'est absentée durant les cours.

En cinquième année, c'est Madame Reina Bizier qui est mon enseignante, une dame charmante, ce qui fait un contraste avec celle de l'année dernière. Il y a trois classes et je suis en cinquième année B.

Louise au Couvent St-Alphonse se partage souvent la première place de sa classe en compagnie de Louise Loignon et de Huguette Lagueux. Papa aime bien que ses enfants aient de bonnes notes. Il promet de nous donner un dollar à chaque fois que l'un de nous arrive au premier rang. Louise a eu son dollar régulièrement ces dernières années et moi je demeure pauvre comme Job...Pour me stimuler, il me dit qu'il me donnera cinq dollars si j'arrive le premier de ma classe. Durant toute l'année, je n'atteints jamais le sommet. Lors des examens de fin d'année, sans que je me sois forcé plus que d'habitude, je termine le premier de ma classe et le premier des trois classes de cinquième. Papa me donne le billet de cinq dollars promis et il m'avise que dorénavant j'aurai la même somme que Louise, soit un dollar. Je ne le sais pas encore, mais c'est la dernière année que je fréquente le Collège-de-la-Salle. Dans l'annuaire du Collège, il y a la photo de ma classe à la page 47 troisième rangée, la photo de la chorale «Les Chanteurs de la Salle» à la page 40 deuxième rangée, et la photo des enfants de choeur à la page 45.

Devant tant de talents (!), papa, sûrement conseillé par oncle Nelson, m'inscrit à l'École Presbytérale de Thetford. Cette école est située au deuxième étage de l'École Anglaise «Quirion Business School», devenue le Comptoir Familial de Thetford, sur la rue de La Fabrique. Il y a deux degrés, l'élément français et l'élément latin. Habituellement, les élèves doivent avoir complété au moins leur sixième année pour y accéder, mais oncle Nelson a dû faire une vente pour que je sois admis. Il y a un professeur, Monsieur Léo-Paul Racine qui enseigne le français, les mathématiques, le latin etc. Pour la religion, c'est un vicaire de la Paroisse Saint-Alphonse qui vient nous donner le cours. Parfois c'est l'abbé Gérard Poulin qui se présente ou l'abbé Robert Mercier. Un de mes compagnons de classe s'appelle Jean-Claude Gamache et souvent l'après-midi, au retour de l'école, nous faisons route ensemble. Partant de la rue de La Fabrique, nous tournons sur la rue Dumais ; lorsqu'il y a quelqu'un qui est exposé au Salon Jos Lavallières & Fils, Jean-Claude me demande d'entrer avec lui dans le salon. Nous nous agenouillons devant le cercueil, Jean-Claude passe la main sur la tombe et me dit «c'est un vrai beau cercueil». Il a l'étoffe de croque-mort même à cette époque !

Après ces deux années passées à l'École Presbytérale, les élèves peuvent commencer le cours classique en Syntaxe. La majorité des étudiants choisissent d'aller au Collège de Lévis. Pour ma part je suis devenu pensionnaire au Petit Séminaire de Québec.



Un texte de
Pierre Roberge