Histoire de la création du Courrier Frontenac racontée par Pierre Roberge

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Histoire de la création du Courrier Frontenac racontée par Pierre Roberge

Mar, 3 décembre 2019, Rediffusion.

«Il faut être un peu fou pour lancer un journal hebdomadaire alors qu'il y en a déjà deux autres en poste, Le Progrès de Thetford et L'Or Blanc»

Il faut être un peu fou pour lancer un journal hebdomadaire alors qu'il y en a déjà deux autres en poste, Le Progrès de Thetford, propriété de «Les Éditions de Thetford Inc» et L'Or Blanc. Les deux publications fonctionnent avec des abonnements.

Alors membre du Club Richelieu de Thetford depuis quelques années, au cours d'un souper, je discute avec André Couture qui est gérant du Magasin Peoples de Thetford. De fil en aiguille, nous parlons de publicité et je fais une gageure à l'effet que je peux publier un hebdo et faire un profit dès le premier numéro. On est en octobre 1973. Comme il est un ardent défenseur du centre-ville, je lui suggère de publier d'ici Noël un hebdo, distribué gratuitement dans toute la ville, avec seulement des annonceurs ayant pignon sur rue au centre-ville. Il relève le défi.

Étant un des propriétaires de l'Imprimerie Edmond Desmarais Inc, je donne la commande à notre fidèle employé Réjean Laliberté de communiquer avec tous ces marchands et de leur vendre de la publicité à paraître dans neuf numéros et de les faire payer immédiatement. Nous imprimons des contrats d'achat et le tour est joué: le Journal LE CENTRE-VILLE est né. Il renferme des nouvelles du centre-ville, des jeux, un concours et de la publicité. Les neuf numéros sont montés à notre imprimerie, imprimés à l'extérieur, distribués dans tous les foyers de la Ville jusqu'à Noël…et il est rentable. J'ai gagné ma gageure.

Je ne m'attendais pas à un tel succès. Les annonceurs ont aimé ce mode de publicité et veulent continuer! Des annonceurs de partout dans la ville demandent qu'on fasse la même chose pour toute la ville. C'est ainsi qu'en mars 1974, nous éditons SERVEX RÉGIONAL ENR, un cahier publicitaire de 12 à 16 pages distribué gratuitement dans toute la région. Ce nom est un condensé de SERVice EXcellent. Cette aventure dure deux ans. Pour notre petite imprimerie, c'est un contrat qui gruge beaucoup d'énergie et nous devons y mettre fin. (Toutes les copies du Journal LE CENTRE-VILLE et de SERVEX RÉGIONAL ENR sont déposées au Centre d'archives de la région de Thetford.

Depuis l'aventure éphémère du journal «Le Centre-Ville» et celle de la circulaire «Servex Régional Enr», l'idée de créer un nouveau journal qui serait distribué dans tous les foyers de la région me trotte dans la tête. Je connais un peu plus le domaine et je connais également l'engouement des annonceurs pour de la publicité à grand tirage.

Lorsque je lis «Le Progrès de Thetford» je suis souvent surpris de l'attitude de son directeur général, M. Georges Larochelle. Il est négatif dans ses écrits, très critique et semble aimer les controverses malsaines. Plusieurs gens d'affaires avec lesquels je discute sont d'avis qu'il serait sain de lui opposer une compétition sérieuse. La population aussi a une certaine insatisfaction au niveau des nouvelles. Curieux de nature et aventurier, je fais une recherche sur ce qui existe au Québec au niveau des journaux gratuits. Je recherche une formule intéressante. Je fais l'analyse du système Pierre Péladeau, le premier à avoir distribué gratuitement des hebdos au Québec. Je suis séduit et je constate que le même système pourrait bien fonctionner dans notre région. C'est à partir de ce concept que j'ébauche le projet d'un hebdo gratuit à grande distribution chez nous.

J'en discute alors avec J-Jacques Paquet, mon associé dans l'Imprimerie Edmond Desmarais Inc. Nous sommes d'accord pour procéder à la mise en place de ce nouvel organe de presse. Cependant nous devons enrôler un commanditaire majeur pour donner du sérieux et du poids avant d'aller plus loin. J'approche John Vincent, propriétaire du magasin Canadian Tire, pour connaître son intérêt dans ce projet. Il me raconte qu'il avait lui aussi déjà songé à lancer un nouvel hebdo. John n'est pas difficile à convaincre et il devient notre associé. Nous procédons à la création de la compagnie «Les Publications Servex Inc» et nous baptisons notre futur bébé «Le Courrier de Frontenac». J'ai également baptisé John Vincent «le sourire du boul. Smith».

Pour ceux qui l'ont connu, John arbore toujours un magnifique sourire et il est d'un commerce facile. Comme contribution dans le travail d'organisation, je demande à John de vendre l'idée aux marchands de mettre leur publicité dans ce journal distribué gratuitement. Très efficace, il recrute des épiciers, garagistes et autres commerçants de toutes sortes. Il me présente également son ami Roger Morin qui a travaillé pour plusieurs hebdomadaires; il devient notre directeur général. De mon côté, je recrute les employés, je prépare le sous-sol de mon bureau de la rue St-Alphonse pour recevoir cette nouvelle entreprise. C'est devenu une vraie ruche. Lucyl Lachance est la responsable de l'atelier avec quelques autres jeunes filles, les journalistes Gaston Goupil et Richard Fortier aux nouvelles, Louis St-Laurent et Réal Toussaint sont les vendeurs attitrés. Après seulement trois semaines de travail, le projet est réalisé et le premier numéro est publié le 21mars 1977.



À la page 4 du premier numéro, nous publions l'éditorial suivant dont le titre est :

Pourquoi un nouveau journal?

On pourrait utiliser tout le contenu d'un journal pour répondre à cette question. Mais on pourrait également ne rien dire et laisser la population de la région croire que nous nous lançons dans une aventure sans but précis et sans avoir, au préalable, effectué des sondages méticuleux sur les besoins et les désirs de la population qui nous entoure.

Une étude poussée et sérieuse de plusieurs mois nous a permis de constater que les dirigeants des maisons d'affaires du territoire à desservir souhaitent de tout cœur voir naître un journal non engagé qui se contenterait de diffuser les grandes lignes de pensée de ceux qui daignent s'exprimer publiquement.

Nous serons un véhicule d'information, sans toutefois entrer dans la course au sensationnalisme ou dans une bataille qui nous entraînerait dans des polémiques qui n'intéressent personne. Il est temps qu'un journal s'implante dans la région et que, par la précision de ses renseignements et de son efficacité publicitaire, il vienne enfin rencontrer les exigences de la population qui en a soupé des luttes qui se font à leur détriment.

Nous sommes là, qu'on le veuille ou non. Chaque semaine, au-delà de 16,000 foyers et commerces recevront un ouvrage digne de leurs besoins. Nous n'étions pas encore né que nous recevions déjà l'appui, l'encouragement et les bravos de gens qui s'y connaissent dans le milieu des affaires et qui ne manquaient pas de s'aligner dans notre camp.

Notre organisation compte déjà une équipe des plus stylée et décidée à offrir un service impeccable et des plus recherché dans le monde de l'information et de la publicité. L'équipement électronique savant dont nous disposons éliminera les erreurs déplaisantes pour celui qui nous confie sa publicité et pour le lecteur qui semble en avoir assez de l'information mal à propos ou la vertigineuse répétition de nouvelles parsemées de signes de piastres.

Le Courrier de Frontenac, respectant le droit de libre opinion du public, a prévu des espaces mises à la disposition des lecteurs. Pour une fois, ceux-ci pourront faire connaître leur point de vue, parfois amusant, parfois sérieux et digne d'être publié. «Génial» s'écrirait Lord Thompson à la lecture de ces dernières lignes.

Nous ne pouvons nous permettre de décevoir les gens de la région qui souhaitent l'existence d'une publication telle que nous leur offrons aujourd'hui. Il est de notre devoir d'être numéro 1 en tout ce que nous allons entreprendre. Nous tenterons de couvrir les évènements susceptibles d'intéresser nos lecteurs, tout en s'assurant que c'est ce qu'ils veulent bien lire et non pas ce qu'ils sont obligés de lire.

Notre réseau de distribution se veut un rayonnement complet du périmètre convoité par notre hebdomadaire et nous tenterons de desservir honnêtement la population qui l'habite. À la demande de certains marchands et de résidents de trois localités, nous avons rehaussé notre distribution qui était de 15,551 à 16,275 copies afin de se complaire aux exigences de personnes qui n'avaient pas encore tenu notre journal en main.

Le Courrier de Frontenac est la propriété de «Les Publications Servex Inc», mis sur pied par un groupe d'hommes d'affaires de Thetford Mines qui sentent le besoin d'offrir ce service. La direction de l'entreprise est confiée au directeur-général Roger Morin qui n'est pas le dernier venu dans le domaine de l'information et de la publicité.

Natif d'Amos et avec 25 années d'expérience à son crédit, M. Morin en a vu bien d'autres, en raison de ses capacités de réorganisation et de mise en marché. On l'a vu à Verdun, Sudbury, Rouyn, Moncton, voire au New-Jersey alors qu'il réorganisa ou qu'il mit sur pied des publications qui avaient du mal à survivre. La réputation de ce «marketer» hors-pair n'est plus à refaire et les instigateurs du Courrier de Frontenac savaient fort bien ce qu'ils faisaient en retenant les services de Roger Morin.

À la lecture de ce témoignage, on ne peut se tromper quant aux intentions, aux convictions et aux buts à atteindre au Courrier de Frontenac. Nous comptons bien ne pas à avoir à rougir d'appartenir à cette équipe en raison de son contenu, de sa présentation et de sa raison d'être.

La direction


Roger Morin, directeur général


Pour les propriétaires du journal Le Progrès et de l'Or Blanc c'est une onde de choc que l'arrivée d'un nouveau compétiteur qui distribue son journal gratuitement à toute la population. Que feront leurs abonnés. En réaction à la venue d'un compétiteur, ces deux journaux mettent en circulation à tour de rôle un hebdo gratuit. Le Progrès édite Le Carroussel de Thetford et l'Or Blanc un autre dont j'oublie le nom. Faute d'avoir le succès escompté, Le Carroussel devient une section du journal Le Progrès. Pour sa part l'Or Blanc et son hebdo gratuit cessent de paraître après un court laps de temps.

Ce qui fait le succès du Courrier de Frontenac, c'est la jeune équipe composée de personnes animées du désir de produire un bon journal non partisan afin que la population soit bien informée. Il existe à cette époque une véritable concertation entre les hommes et femmes d'affaires. Tout est possible entre nous et au lieu de penser à notre petite personne, nous travaillons tous ensemble à développer la région. La création de ce journal devient l'outil pour communiquer notre enthousiasme à la population pour qu'elle sache que les gens qui créent de l'emploi ce sont les bâtisseurs et non les politiciens.

Les Éditions de Thetford Inc, par la voie du Progrès de Thetford, lance une campagne de dénigrement du Courrier à l'automne 1977. On publie des photographies de ballots de copies du Courrier qui seraient destinées au dépotoir et non distribuées dans les résidences; on met en doute le nombre de copies imprimées et distribuées. Par cette façon de faire, ce journal tente de rapatrier les nombreux annonceurs qui l'ont déserté et démontre son désarroi devant le succès du Courrier de Frontenac. Cette situation dure une bonne période. Nous devons même faire une mise en demeure à l'éditeur pour qu'il cesse cette basse méthode de salir notre réputation. Les annonceurs ne sont pas dupes et au lieu d'en perdre, nous gagnons d'autres annonceurs.

Après la première année d'opération, notre entreprise affiche une perte. Toute cette controverse nous a occasionné des dépenses additionnelles en plus des dépenses normales de rodage. Les commentaires de nos lecteurs sont encourageants. Ils aiment la qualité et la variété des articles de notre équipe de journalistes. De leur côté, nos annonceurs continuent de nous supporter et apprécient la large diffusion du journal dans toute la région. Les employés à la production du journal forment une équipe solide toujours prête à relever de nouveaux défis. À mesure que le journal ajoute des pages au Courrier, le nombre d'employés augmente également au point où le local devient vite exigu.

Un soir j'arrive à la maison et ma petite fille Caroline me dit qu'un monsieur a téléphoné pour me parler. Lorsqu'il s'est aperçu que c'était une jeune enfant, il lui demande d'aller chercher du papier et un crayon car il voulait laisser un message. Il lui dit alors : «Dis à ton père d'appeler Pierre Péladeau; écris Péladeau et non pas Pédalo» et il donne le numéro de téléphone. Je téléphone donc à M. Péladeau et il me dit qu'il voulait acheter Le Courrier de Frontenac. Je lui réponds qu'il n'est pas à vendre. C'est vrai qu'il ne l'est pas à ce moment là.

À cette période, j'ai beaucoup de fers au feu et il m'est difficile de continuer à administrer ce journal qui demande de plus en plus de travail. Par contre, parmi l'équipe d'employés, il y en a deux qui se démarquent. Lucyl Lachance dirige le département de production d'une main de maître et les employés l'aiment bien, tandis qu'à la vente, Louis St-Laurent démontre un talent indéniable. Lors d'une rencontre des actionnaires, je propose de nous départir de cette entreprise en faveur de ces deux employés. De toute façon aucun de nous n'a le temps à accorder au journal et Le Courrier de Frontenac est déjà entre les mains d'employés de confiance qui ont fait leurs preuves. De plus, il est préférable que le journal reste entre les mains de personnes de la région plutôt que d'étrangers. De cette façon nous sommes certains que les emplois créés resteront ici. C'était un des buts que nous avions au départ de la compagnie et il le restera.

Lorsqu'on approche les deux futurs propriétaires, ils sont surpris mais heureux de l'opportunité qui leur est offerte. La transaction se fait donc avec Lucyl et Louis avec des conditions très favorables.

Cette année, le 21 mars 2019, le Courrier Frontenac fête son 42ième anniversaire de naissance. Je suis extrêmement fier d'avoir eu l'idée de créer ce journal et de constater qu'il est toujours vivant.

Bien entendu les propriétaires ont changé. Au départ, John Vincent, J.-Jacques Paquet et moi sommes les actionnaires pendant presque trois ans. Par la suite, Lucyl Lachance et Louis St-Laurent prennent la relève pour les trente-deux années suivantes. Malheureusement pour la région, faute de relève locale, TC Média une filiale de Transcontinental acquiert le Courrier Frontenac. En intégrant le journal avec les autres en sa possession, le nouveau propriétaire transfère une grande partie des effectifs ailleurs et la région de Thetford perd des emplois et une importante partie de son âme! Depuis ce temps, le Courrier Frontenac a encore changé de propriétaire à quelques reprises pour passer aux mains de Icimédias Inc du groupe RÉSEAU SÉLECT.

Un récit de Pierre Roberge.